Cher Jiji,

Quand on s’installe chez toi pour boire un café, c’est ta chérie qui nous annonce que tu as ouvert un œil et surtout que tu as obéi quand on te demandait de bouger les jambes. Comme ce geste anodin en apparence nous a, tous les six, comblé de joie.

C’est donc le cœur plus léger que nous chaussons nos raquettes, Chacun de nous emporte un peu de toi en s’enfonçant dans cette forêt magnifique. C’est comme un sentier de trappeur. Mais il y a quand même beaucoup de chasseurs qui ont passé avant nous. J’ai même cru reconnaître les sapins de Emmeneiger, tu sais ceux qui reçoivent une étrange lumière orangée sur leurs troncs. Ils ont fait fureur à l’Hermitage.

Après une petite montée là-haut sur la colline on découvre au premier plan le toit enneigé d’un alpage, le sol lui est tachetés bicolore, entre vert-pissenlit et blanc Persil. Au fond, avec un regard d’aigle, tu domines Riaz et au loin en demi-cercle les montagnes fribourgeoises. Au-dessus un ciel bleu comme un été. Tout étincelle. Tu verrais ça, ça fait presque pleurer comme une jambe qui bouge.

On a trouvé un petit banc pour se reposer au soleil. On peut se déshabiller : fait chaud, fait chaud …Bon c’est juste un gag souvenir pour toi.

Anik a réservé une table pour nous six dans un alpage sympathique. On s’est rempli la panse comme des ados, de frites et de jambon, très bon.

Je t’envoie aussi un bouquet de fleurs virtuelles, car je sais bien qu’Ils n’en voudront pas où tu es. J’y mets du rouge, mais pas un rouge pian pian de floralies à Amsterdam, plutôt un rouge de danseuse de flamenco qui soulève sa robe d’un coup de pied. Il y aura aussi du jaune, beaucoup de jaune, comme une fête du citron à Menton. Et du blanc, il en faut toujours, pas le blanc de tes foutus draps, mais celui qu’on laisse sur une aquarelle. Pour le bleu, je ne saurais choisir entre les morceaux de ciel que je contemple sur le retour. Trois sortes de bleu s’étirent au-dessus du lac. Des nuages nouveau-nés bataillent pour prendre leur place. Juste un peu plus foncée la découpe nette de la Savoie festonne. Le lac fume comme un sauna et cache le bas de leurs robes. Tout est tendresse. Le soleil perce et dépose un fagot de rayons, juste là au milieu.

J’emballe le tout dans un papier tendresse et si tu sens un frôlement sur ta joue, c’est juste un baiser déposé furtivement par nous six.

Anik, Martine et André, Françoise, Jacky et moi.